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prié, ma mère reposait un peu. Cela dura quatre ans, et au moment où elle mourut, nous faisions la même prière, moi tout haut, elle silencieusement. Puis son âme s’envola !

— Depuis lors, demanda Daniel s’efforçant de demeurer calme, n’avez-vous jamais rien appris de votre sœur ?

— Jamais ! Je n’ai jamais su si elle avait été délivrée du mal, comme nous le demandions dans nos prières. Je ne sais pas ! Je ne sais rien ! Qui peut dire quels sentiers elle a suivis ? La volonté pernicieuse du méchant est forte ! Elle a empoisonné ma vie, elle a épuisé lentement mon dernier souffle. La mort a délivré ma mère, et je sens que c’est une bénédiction que je sois demeuré seul dans les hivers de la souffrance. Mais que me font les hivers maintenant ? Ils sont bien loin ! — Mordecai posa de nouveau la main sur le bras de Deronda et le considéra avec cette joie sereine du poitrinaire, qui vous transperce de tristesse. — Rien n’est à regretter dans le dépérissement de mon corps. L’ouvrage sera mieux fait. Autrefois je disais : « L’œuvre du commencement est le mien, je suis né pour le faire ! » Maintenant je dis : « Je le ferai, car je vivrai en vous ! »

Deronda était plus agité que jamais ; la certitude qu’il avait devant lui le frère de Mirah ajoutait à l’étrangeté de ses relations avec Mordecai et leur donnait une nouvelle solennité à laquelle venait se mêler la tendresse. Son jeune cœur battit plus vite ; ses lèvres pâlirent. Il craignait de parler. Dans l’état d’exaltation où se trouvait Mordecai, il aurait craint de laisser échapper un mot de révélation sur Mirah. Il posa doucement sa main sur celle qui l’étreignait et à ce contact Mordecai recouvra tous ses esprits.

— Allons-nous-en maintenant, dit-il, je ne puis parler davantage.

Ils se séparèrent à la porte de Cohen sans avoir échangé une parole. La seule pression de leurs mains suffit.