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Mais maintenant que la vie de passion venait de commencer pour elle, et de commencer négativement, elle se sentait absolument contraire à tout amour qui viendrait s’offrir.

— Est-ce là le dernier mot que vous ayez à me dire, Gwendolen ? lui demanda Rex, qui, à vingt ans, croyait les joies de la vie absolument finies pour lui. En sera-t-il toujours ainsi ?

Elle vit sa souffrance et le prit en pitié ; mais, tout en sentant un retour de bienveillance pour lui, elle dit résolûment :

— Pour l’amour, oui ! Pour tout le reste, vous ne me déplaisez pas.

Rex garda un instant le silence, puis lui dit d’une voix concentrée :

— Adieu ! et sortit du salon.

Presque aussitôt, elle entendit la lourde porte du hall se refermer sur lui.

Madame Davilow, qui avait vu le départ précipité de Rex, courut au salon, où elle trouva Gwendolen la tête plongée dans les coussins du canapé, les cheveux dénoués et en désordre, sanglotant amèrement.

— Mon enfant, mon enfant, qu’y a-t-il ? s’écria cette mère éplorée, qui n’avait jamais vu sa fille dans cet état. S’asseyant à côté d’elle et l’entourant de ses bras, elle pressa contre sa tête celle de Gwendolen, qui la laissa tomber sur la poitrine de sa mère, en s’écriant :

— Oh ! maman, que sera ma vie ? Est-ce la peine de vivre ?

— Pourquoi parler ainsi, ma chérie ? dit madame Davilow.

Les rôles étaient changés. Ordinairement, c’était la fille qui reprochait à la mère ses signes involontaires de désespoir.

— Je n’aimerai jamais personne. Je ne puis aimer aucun homme. Je les hais tous.