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Cependant il y avait eu véritablement un médium dans l’ouverture subite du panneau, médium qui s’était empressé de quitter la place et d’aller se fourrer dans son lit, la conscience vivement alarmée. C’était la petite Isabelle, dont la curiosité peu satisfaite, après le trop maigre coup d’œil qu’elle avait pu jeter sur l’étrange peinture le jour de l’arrivée à Offendene, avait épié Gwendolen pour savoir où elle mettait la clef, l’avait dérobée un jour que toute la famille était sortie, et qui était montée sur une chaise pour ouvrir le fameux panneau. Pendant qu’elle calmait sa soif de curiosité, un bruit de pas vint l’effrayer, et, dans sa crainte d’être surprise, elle referma le panneau en hâte en essayant de tourner la clef ; mais, comme elle n’y put parvenir, elle la retira, comptant que l’on ne s’apercevrait de rien. Elle remit la clef à son ancienne place et se dit qu’en tout cas personne ne saurait comment cela était arrivé. Comme tous les criminels, Isabelle ne prévit pas qu’elle serait forcée de faire l’aveu de sa faute, car, le lendemain, pendant le déjeuner, Gwendolen dit :

— Je suis sûre que la porte était fermée quand la cuisinière m’a envoyé la clef ; j’ai essayé d’ouvrir ensuite et je n’ai pas pu. Quelqu’un aura été prendre la clef dans mon tiroir.

Isabelle crut voir que l’œil de Gwendolen la surveillait plus attentivement que ses sœurs, et elle lui dit en tremblant :

— Pardonne-moi, Gwendolen !

Ce pardon fut généreusement accordé ; mais il ne l’eût certes pas été aussi facilement si Gwendolen n’avait pas tenu à éloigner d’elle et des autres le souvenir du moment où elle avait laissé voir combien elle était sujette aux accès de terreur. Elle s’en étonnait elle-même et les attribuait à une folie momentanée ; car son idéal était de se montrer hardie dans son langage et insouciante des dangers moraux