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diques. Il tira du piano toute la force de passion à laquelle peut se prêter cet instrument si peu expressif ; ses doigts semblaient exercer un pouvoir magique sur les touches d’ivoire et sur les marteaux et communiquer un frémissement nerveux aux cordes qui parlaient une langue émue et passionnée. Gwendolen, en dépit de son amour-propre blessé, avait une nature assez bien organisée pour sentir la puissance de ce jeu ; elle devint indifférente à son propre talent et voulut se montrer supérieure en riant de ses défauts, comme s’ils ne lui appartenaient pas. Ses yeux brillaient davantage, ses joues s’étaient teintées d’un léger incarnat et sa langue était prête pour les observations malicieuses.

— Je souhaite vivement que vous chantiez encore, miss Harleth, dit le jeune Clintock, le fils classique de l’archidiacre, qui avait été assez fortuné pour la conduire à table et qui s’avança pour renouer la conversation aussitôt que Herr Klesmer eut fini de jouer. Votre style de musique me plaît. Je ne comprends rien à tous ces tapotages. Je vous écouterais chanter toute la journée.

— Oui, nous serions charmés d’entendre maintenant quelque chose de populaire, un autre morceau chanté par vous serait un délassement, dit madame Arrowpoint, qui s’était approchée aussi avec des intentions pacifiques.

— C’est parce que vous êtes dans un état de culture puéril et que vous n’avez point de largeur d’horizon. Je viens de l’apprendre. Je sais que mon goût est mauvais et j’en ressens des peines cuisantes. Cela n’est pas agréable, dit Gwendolen, sans répondre à madame Arrowpoint et en s’adressant au jeune Clintock.

Madame Arrowpoint, piquée de ce manque d’égards, répliqua :

— Eh bien, nous ne voulons pas insister, puisque cela vous affecte désagréablement. Et, comme les conversations