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d’écrire des livres comme vous. Ce doit être charmant d’écrire selon son goût, au lieu de lire les idées des autres, Les livres faits par soi doivent être si beaux !

Le regard de madame Arrowpoint devint un peu plus perçant ; mais la périlleuse teinte satirique de la dernière phrase prit la couleur d’une simplicité naïve quand Gwendolen ajouta :

— Je donnerais tout au monde pour écrire un livre.

— Et pourquoi ne le feriez-vous pas ? demanda madame Arrowpoint d’un ton encourageant. Vous n’avez qu’à commencer comme je l’ai fait : les plumes, l’encre et le papier sont à la disposition de chacun. Si vous voulez, je vous enverrai tout ce que j’ai écrit.

— Mille remerciements. Je serai enchantée de lire vos écrits. On doit mieux comprendre les livres quand on en connaît les auteurs. On est à même alors de dire quelles parties sont facétieuses et lesquelles sont sérieuses. Je suis sûre que j’ai souvent ri à tort. — Ici, Gwendolen s’aperçut de la voie dangereuse où elle s’engageait et ajouta vivement : — Dans Shakspeare, vous savez, et dans d’autres grands écrivains que nous ne verrons jamais. J’ai le défaut de vouloir en savoir plus que n’en disent les livres.

— Si mes sujets vous intéressent, je puis vous prêter mes manuscrits, dit madame Arrowpoint à Gwendolen, qui se sentait dans la position critique de cette dame qui avait affirmé qu’elle aimait les éperlans bouillis. Je les publierai peut-être ; mes amis m’en ont supplié et on n’aime pas à se montrer trop entêté. Mon Tasse, par exemple, j’aurais pu le faire deux fois plus volumineux.

— J’adore le Tasse, s’écria Gwendolen.

— Eh bien, vous aurez tous mes papiers, si vous voulez. Il y a tant d’auteurs qui ont écrit sur le Tasse ! mais tous ont tort. Quant à la nature de sa folie et à ses sentiments pour Léonora, quant à la cause réelle de son emprisonne-