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scène sans se douter que les nuances diverses de sa manière d’être avaient toutes été remarquées.

— Vous aimez les livres et la musique, l’équitation et le tir à l’arc, m’a-t-on dit, commença madame Arrowpoint, qui, après le dîner, l’avait attirée à un tête-à-tête dans le salon ; Catherine sera bien heureuse d’avoir une voisine aussi sympathique. Ce petit discours eût été poli s’il avait été fait d’une voix basse et mélodieuse ; mais, prononcé d’un ton rauque et fatalement commun, il donna à Gwendolen l’idée d’exercer une sorte de patronage en répondant gracieusement :

— C’est moi, madame, qui serai heureuse. Miss Arrowpoint me fera connaître ce qu’on appelle la bonne musique, car je ne suis qu’une écolière. On la dit parfaite musicienne.

— Catherine a certainement eu tous les avantages. Nous avons maintenant ici un musicien de premier ordre, Herr Klesmer ; vous connaissez peut-être ses compositions. Vous me permettrez de vous le présenter. Vous chantez, je crois. Catherine joue de trois instruments, mais elle ne chante pas. J’espère que nous vous entendrons. Je vous crois chanteuse accomplie.

— Oh ! non. Die Kraft ist schwach, allein die Lust ist gross[1] ! comme dit Méphistophélès.

— Ah ! vous avez étudié Gœthe ! Les jeunes personnes d’aujourd’hui sont si avancées ! Je parierais que vous avez tout lu !

— Non, en vérité. Il me serait bien doux d’apprendre de vous ce que je dois lire. J’ai examiné la bibliothèque d’Offendene, mais rien n’y est lisible. Les feuillets sont collés ensemble et sentent le moisi. Je voudrais être capable

  1. « Le talent est faible, mais le désir est grand. » Passage du Faust de Gœthe. (Note du trad.)