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les salons, où la profusion des fleurs le disputaient à l’éclat des lumières. Cette svelte figure en robe blanche semblait voltiger à travers ces vastes galeries brillamment illuminées et sentait avec une joie secrète qu’elle était créée pour ce genre de vie. Qui l’aurait vue là si à son aise, se serait dit que le luxe et les laquais en grande livrée lui étaient choses habituelles ; au lieu que sa cousine Anna, qui en avait plus qu’elle la pratique, semblait aussi embarrassée qu’un lapin placé tout à coup devant une vive lumière.

— Qui donc est avec Gascoigne ? demanda l’archidiacre, en quittant brusquement une discussion sur les manœuvres militaires, qu’en sa qualité d’ecclésiastique il devait naturellement connaître à fond. Son fils, qui se tenait à un autre bout du salon, — jeune étudiant de grandes espérances, ayant déjà proposé aux textes grecs des corrections « non moins élégantes qu’ingénieuses », — s’écria presque en même temps :

— Par Saint-Georges, quelle est cette belle fille dont la jolie tête est si bien posée ?

Pour une maîtresse de maison qui, dans un esprit de bienveillance générale, désire que chaque invité paraisse sous son meilleur jour, il y avait quelque chose de désespérant à voir combien Gwendolen éclipsait les autres ; combien la belle miss Lawe elle-même — la fille de Lady Lawe, entendez-vous — parut soudain épaisse, lourde et inanimée ; combien miss Arrowpoint, elle aussi, par malheur, vêtue de blanc, ressembla incontinent à une carte de visite sur laquelle on avait oublié d’imprimer quelque chose. Miss Arrowpoint était généralement aimée pour la manière aimable et sans prétention avec laquelle elle portait sa fortune ; on lui tenait grand compte de ce qu’elle rachetait par ses belles qualités les bizarreries de sa mère ; aussi quelques bonnes âmes trouvèrent-elles inconvenant, de la part de Gwendolen, de paraître si complètement en femme de haut rang.