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d’un ton chantant et solennel, ses mains décharnées serrées inconsciemment devant lui. C’était une inexplicable conjonction parmi ces types communs et prospères de boutiquiers, que celle d’un homme qui, malgré sa condition misérable et son aspect émacié, causait une certaine angoisse à Deronda, et un embarras de ce qu’il ne répondait pas à ses espérances. Dès que Mordecai eut terminé sa prière, il se leva en faisant une légère inclination de tête à l’étranger, et retourna dans la chambre dont il ferma la porte sur lui.

— Il me paraît un homme remarquable, dit Deronda en se tournant vers Cohen, qui leva les épaules et se frappa légèrement le front. Il voulait faire comprendre clairement que Mordecai n’avait pas l’esprit assez sain pour marcher sous l’étendard de M. Cohen, et pour partager ses manières de voir sur les hommes et les choses.

— Appartient-il à votre famille ? demanda Deronda.

Cette idée parut assez plaisante aux dames aussi bien qu’à Cohen, pour que tous trois échangeassent des regards qui prouvaient que la question les divertissait.

— Non ! non ! s’écria Cohen ; charité ! pure charité ! il travaillait pour moi, et, quand il est devenu de plus en plus faible, je l’ai pris ici. C’est une gêne, mais elle nous vaudra une bénédiction. De plus, il donne des leçons au petit et répare les montres et les bijoux.

Deronda ne put s’empêcher de sourire à ce mélange de bonté, et au désir de la justifier par le calcul ; mais son envie de parler encore de Mordecai, dont le caractère était devenu pour lui plus énigmatique et plus saisissant après ces nouveaux détails, fut déjouée. M. Cohen éloigna ce sujet en revenant à l’accommodement, qui était aussi un acte de charité ; il fit la reconnaissance et donna les quarante livres à Daniel, en échange de la bague en diamants. Sentant qu’il aurait été peu délicat de prolonger sa visite au