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Le père cligna de l’œil à son hôte et dit :

— De mettre son nez sur la meule.

Jacob descendit de sa chaise avec un morceau de gâteau en main, et, s’approchant de Mordecai, qui jusque-là avait gardé le silence, il lui dit :

— Qu’est-ce que cela signifie : mettre son nez sur la meule ?

— Cela signifie que tu dois même supporter que l’on te blesse sans faire de bruit, dit Mordecai, regardant avec bienveillance la petite figure qui était devant lui.

Jacob mit le bout de son gâteau dans la bouche de Mordecai, comme une invitation d’y mordre, mais en tenant les yeux fixés sur lui pour voir combien lui coûterait cet acte de générosité. Mordecai lui en enleva un petit bout et sourit, pensant évidemment faire plaisir à l’enfant ; cet incident insignifiant les fit paraître plus aimables tous les deux. Cependant Deronda était vexé du peu de résultat produit par sa question.

— Je m’imagine que c’est la bonne manière d’apprendre, dit-il en abordant ce sujet, afin d’avoir une excuse pour s’adresser à Mordecai auquel il demanda :

— Je suis sûr que vous avez beaucoup étudié.

— J’ai étudié, répondit avec calme Mordecai. Et vous ? Vous savez l’allemand ; je le devine par le livre que vous avez acheté.

— Oui, j’ai étudié en Allemagne. Vous occupez-vous de la vente des livres ?

— Non, je ne vais chaque jour dans la boutique de M. Ram, que pour la garder pendant qu’il dîne, répondit Mordecai en examinant Deronda d’une façon qui sembla faire revivre son premier intérêt. On aurait pu croire que la figure de Daniel était pour lui une attraction qui neutralisait le désappointement éprouvé d’abord. Après une légère pause :

— Vous connaissez peut-être l’hébreu ? demanda-t-il.