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— Voici la bague, dit Deronda en l’ôtant de son doigt ; je crois qu’elle vaut cent livres. Je suppose que ce sera un nantissement suffisant pour cinquante livres. Je la retirerai probablement dans un mois.

Les yeux étincelants de Cohen semblèrent se rapprocher quand ils rencontrèrent le regard ingénu de ce naïf jeune homme, qui supposait apparemment que le rachat était du goût du prêteur sur gages. Il prit la bague, l’examina et la lui rendit en disant nonchalamment :

— Très bien ; nous en reparlerons après le dîner. J’espère que vous ne refuserez pas de vous joindre à nous. Ma mère, ma femme et moi, nous en serons très honorés ; n’est-ce pas, mère ? n’est-ce pas, ma femme ?

Un double écho affirmatif répondit à l’invitation que Deronda accepta volontiers. Tous alors s’assirent autour de la table, sur laquelle il y avait un plat couvert d’une serviette. Madame Cohen apporta un bol de porcelaine afin que son mari pût se laver les mains ; après quoi, celui-ci reprit son chapeau et appela : « Mordecai ! »

Est-ce une partie de la cérémonie religieuse ? se demanda Deronda, ne sachant pas ce que l’on pouvait attendre de ce héros de l’antiquité judaïque ; mais un « oui » sorti de la chambre voisine le fit regarder du côté de la chambre ou verte, et, à son grand étonnement, il vit apparaître la figure du juif énigmatique qu’il avait trouvé le matin même dans la boutique du libraire. Leurs yeux se rencontrèrent, et Mordecai parut aussi surpris que Deronda, sans que, toutefois, rien pût faire supposer qu’il l’avait reconnu. Quand il se fut assis au bout de la table, il s’inclina un peu froidement devant l’étranger, comme si son désappointement du matin demeurait associé d’une façon désagréable avec cette nouvelle connaissance.

Cohen se lava les mains en prononçant quelques mots d’hébreu, puis il enleva la serviette et découvrit deux pains