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et qu’il l’eût repoussée. Le père et la mère rirent tout haut et semblèrent ravis.

— Jacob ne choisira jamais le moins bon, s’écria M. Cohen dans son désir d’éveiller l’admiration de son client.

Deronda, regardant la grand’mère, qui s’était contentée de rire silencieusement, lui dit :

— Sont-ce là vos seuls petits-enfants ?

— Oui, voilà mon fils unique.

— Et vous n’avez jamais eu de fille ? demanda-t-il naturellement.

Un changement subit se manifesta sur le visage de la vieille femme ; elle serra les lèvres, baissa les yeux et s’appuya des deux mains sur le comptoir en tournant le dos à Deronda, comme si elle voulait examiner des foulards de l’Inde étalés derrière elle. Le fils envoya à Deronda un coup d’œil significatif, mit un doigt sur sa bouche, et dit très vite :

— N’êtes-vous pas un des grands négociants de la cité, monsieur, s’il m’est permis de vous interroger ?

— Non, répondit Deronda préoccupé, je n’ai rien à faire avec la cité.

— C’était une plaisanterie. Je vous supposais l’employé principal d’une maison de premier ordre, dit M. Cohen qui voulait excuser le coup porté au désir, bien naturel de son client, d’en savoir davantage sur lui et les siens. Mais je vois que vous vous connaissez en orfèvrerie.

— Un peu, répondit Deronda, en reprenant les agrafes un moment, puis les replaçant sur le comptoir. Cette quasi-évidence circonstancielle venait de lui suggérer un plan plus pratique que tout ce qu’il avait imaginé et fait jusque-là ; et l’idée qu’une connaissance plus intime pourrait annuler cette évidence, domina désormais son penchant à demeurer dans l’incertitude.

— À vous dire vrai, reprit-il, mon but n’est pas autant