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— Elles ne sont que de trois guinées, monsieur, dit la mère d’un ton encourageant.

— C’est un travail de toute beauté, monsieur, — qui vaut deux fois ce prix ; — je les ai eues dans un marché que j’ai fait à Cologne, dit le fils de sa place.

Au même instant, entrèrent deux nouveaux clients, et l’appel réitéré de « Addy ! » amena de l’arrière-boutique un groupe que Deronda regarda très attentivement, persuadé que ce coup d’œil serait complémentaire pour lui. Le groupe consistait en une jeune femme aux yeux et aux cheveux noirs, tenant sur les bras une petite fille aux mêmes yeux et aux mêmes cheveux, qu’elle déposa sur le comptoir, d’où l’enfant regarda tout avec une intelligence peu habituelle aux bébés ; plus, un robuste gamin de six ans et une autre fille moins âgée, également aux yeux et aux cheveux noirs, ayant l’aspect plus sémitique que leurs parents, de même que les jeunes lions portent quelquefois les traits d’ancêtres éloignés.

La jeune femme qui répondait au nom d’Addy — sorte de perruche en robe bleu vif, avec un collier et des pendants d’oreilles en corail, les cheveux arrangés en un immense édifice — paraissait aussi empressée et aussi peu raffinée que son mari ; l’évidente dissemblance entre elle et la mère, fit entrer plus avant dans l’esprit de Deronda la déplaisante idée que cette dernière n’était pas une juive assez complètement commune, pour exclure la possibilité qu’elle fût la mère de Mirah. Tandis que cette pensée le poursuivait, le gamin s’était avancé d’un pas résolu, et se plantant tout droit non loin de Deronda, les mains dans les poches de son pantalon, il le considéra d’un air de fixité précoce. Peut-être fut-ce dans le dessein diplomatique de prolonger son entretien et de se rendre agréable, que Deronda caressa la tête du petit bonhomme, et lui dit :

— Comment t’appelles-tu, mon petit ami ?