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Après en avoir feuilleté les premières pages, sans toutefois se lever, le libraire supposé dit :

— Le prix n’est pas marqué. M. Ram n’est pas là. Je garde sa boutique pendant qu’il est allé dîner. Que voulez-vous en donner ?

Il tenait le livre sur son genou, tout en examinant très attentivement Deronda, qui crut que ce curieux personnage voulait voir ce qu’il pourrait tirer de l’ignorance d’un consommateur sur le prix des livres, et, sans plus réfléchir, il dit :

— Ne savez-vous pas combien il vaut ?

— Je ne vois pas de prix marqué. Oserai-je vous demander si vous l’avez lu ?

— Non. J’en ai vu un compte rendu qui me fait désirer l’acheter.

— Vous êtes un homme instruit ; vous intéressez-vous à l’histoire des juifs ?

Cela fut dit d’un ton grave et empressé.

— Je m’y intéresse certainement, répondit tranquillement Deronda, dont la curiosité fut plus forte que le mécontentement qu’il éprouvait de cette sorte d’inspection et de cet interrogatoire. Mais immédiatement l’étrange israélite se leva, et Daniel sentit une main osseuse qui lui serra fortement le bras, pendant qu’une voix rauque, émue, mais pas plus élevée qu’un murmure, lui disait :

— Peut-être êtes-vous de notre race ?

Deronda rougit et répondit avec un léger mouvement de la tête : « Non ! » L’étreinte se relâcha, la main s’éloigna, la vive ardeur de la face fit place à une indifférence mélancolique, comme si l’esprit dominateur, qui avait monté aux yeux et dans les gestes, s’était replongé dans les cavités les plus secrètes du cœur : puis, s’éloignant un peu, et tendant le livre à Daniel, l’étranger dit d’un ton poli mais froid :