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l’embarrassait dans cette conclusion, c’était le religieux désir de Mirah de savoir si sa mère n’était plus et d’apprendre aussi si son frère vivait. Jusqu’à quel point pouvait-il se permettre de décider de la vie d’un autre ? Ne se plaignait-il pas secrètement de la manière dont on avait disposé de la sienne ? Ne souffrait-il pas de ce qu’on ne lui eût rien appris sur ses parents ?

Mais la réflexion le rassura ; jusqu’alors, il n’avait absolument rien découvert, et, en envisageant les faits de plus près, il était certain de n’avoir à prendre aucune décision. Il avait l’intention de revenir à cette boutique aussitôt que les convenances le lui permettraient et d’y faire l’acquisition des agrafes pour lady Mallinger ; il en fut empêché pendant plusieurs jours par sir Hugo, qui, désirant prendre la parole à la Chambre sur un sujet brûlant, avait demandé à Daniel de compulser pour lui la partie légale de la question et passait chaque jour plusieurs heures avec lui à discuter ses arguments ; ce qui finissait toujours par une bataille rangée. De même, sur d’autres questions, ils pensaient différemment ; mais sir Hugo ne s’en inquiétait pas, et, quand Deronda le mettait au pied du mur, il lui disait avec un mélange de satisfaction et de regret :

— Du diable, Dan ! pourquoi ne vas-tu pas dire ces choses-là en public ? Tu as tort, tu sais. Tu ne réussiras pas. Le sentiment des masses, la grosse artillerie du pays, est contre toi. Mais c’est égal, à ton âge, j’aurais fait de même. Si tu voulais profiter de la première occasion qui se présentera de te faire connaître, tu serais bientôt au Parlement, et tu sais combien j’en serais satisfait.

— Je regrette infiniment, monsieur, de ne pas faire ce qui vous plairait, dit Deronda ; mais il m’est impossible de regarder la politique comme une profession.

— Pourquoi ? Si un homme n’est pas porté à la vie pu-