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dit-elle après qu’elle eut répété l’hymne deux ou trois fois.

— Qu’est-ce que cela fait ? répliqua Deronda. Les mots bégayés sont pleins de signification.

— Oui, en effet, dit madame Meyrick. Une mère entend toujours quelque chose comme un bégayement dans les paroles de ses enfants. Leurs mots ne sont pas exactement semblables à ceux des autres personnes, quoiqu’on puisse les épeler de même. Si je devais vivre jusqu’à ce que mon Hans fût vieux, je verrais encore en lui le petit garçon. Je dis souvent que l’amour d’une mère est comme un arbre qui a réuni en lui tout son bois, depuis sa première couche.

— N’est-ce pas aussi la même chose pour l’amitié ? demanda Deronda en souriant ; il ne faut pas que nous permettions aux mères d’être trop arrogantes.

La petite dame releva la tête et répondit prestement :

— Il est plus facile de trouver une vieille mère qu’un vieil ami. Les amitiés commencent par l’affection ou la gratitude ; ce sont des racines que l’on peut extirper. L’amour maternel commence plus profondément.

— C’est comme ce que vous avez dit sur l’influence des voix, reprit Daniel en s’adressant à Mirah. Je ne pense pas que votre hymne m’eût plus remué si j’en avais connu les paroles. Ainsi, je suis allé à la synagogue à Francfort avant de revenir ici, et l’office m’a fait autant d’impression que si j’avais suivi les mots ; peut-être même plus !

— Cela vous a-t-il paru grand ? cela a-t-il parlé à votre cœur ? demanda Mirah avec empressement. Je croyais que notre peuple pouvait seul sentir ainsi. Je pensais que tout était renfermé, comme une rivière coulant dans une vallée profonde que le ciel seul peut voir… Je veux dire… Elle hésita, car elle sentait qu’elle ne pourrait dégager sa pensée de ces formes imagées.