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l’on aurait dit tracé au pinceau ; ses narines délicates et assez mobiles pour se prêter aux mouvements du sentiment ; son oreille mignonne, et les courbes fermes du menton témoignant de l’expression d’un raffinement qui n’est pas de la faiblesse.

Elle chanta la mélodie de Beethoven, Per pietà non dir mi addio[1], avec un accent pathétique, contenu et pénétrant, qui avait cette perfection que l’art ne s’y laissait pas deviner. Deronda, qui avait couvert ses yeux avec sa main, comme pour enfermer la mélodie dans l’obscurité, l’ôta, voulant s’abstenir de tout ce qui aurait pu passer pour de la bizarrerie, et se tint prêt à répondre au regard d’interrogation qu’elle jeta sur lui quand elle eut fini.

— Je crois que jamais chant ne m’a fait plus de plaisir, dit-il gravement.

— Alors vous aimez mon chant ! Que j’en suis heureuse ! s’écria-t-elle en souriant de plaisir. Quand j’ai vu qu’il ne répondait pas à ce que l’on en avait attendu, j’en ai ressenti bien de la peine ; mais j’espère cependant que je pourrai l’utiliser pour gagner mon pain. J’ai aujourd’hui deux élèves que madame Meyrick m’a procurées ; elles me payent à peu près deux couronnes pour leurs leçons.

— Je connais plusieurs dames qui, je l’espère, vous trouveront des élèves après Noël, dit Deronda. Craindriez-vous de chanter devant ceux qui désireraient vous entendre ?

— Oh non ! il faut que je fasse quelque chose pour gagner de l’argent. Madame Meyrick croit que je pourrais enseigner à lire et à parler. Mais, si personne ne veut apprendre avec moi, ce sera difficile. Elle sourit avec une teinte de gaieté qu’il ne lui connaissait pas. — Je crois que je la retrouverai pauvre ; je parle de ma mère. Je voudrais gagner de l’argent pour elle. Je ne puis non plus

  1. Par pitié, ne me dis pas adieu !