Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/359

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il dit d’un ton moitié badin, moitié solennel : — Soyons reconnaissants, Fanny. Elle est dans une position faite pour elle et au delà de ce que j’aurais osé espérer. Peu de femmes seraient ainsi choisies pour elles-mêmes. Vous devez vous regarder comme une heureuse mère.

Il fallait voyager en chemin de fer pendant cinquante milles avant que les nouveaux époux arrivassent à la station la plus rapprochée de Ryelands. Le crépuscule tombait lorsqu’ils franchirent l’entrée du parc. Gwendolen, en regardant par la fenêtre de la voiture, pendant qu’ils avançaient rapidement sur l’avenue, put voir les grands contours et les beautés les plus rapprochées de cette magnifique résidence. Ils s’arrêtèrent enfin sur un vaste espace d’où elle aperçut le château avec la forêt qui lui servait de rideau et la balustrade du grand perron lui faisant face.

Gwendolen avait été fort gaie pendant le voyage, causant sans cesse, ignorant le changement qui s’était produit dans leur position mutuelle depuis la veille, et Grandcourt était resté dans un calme extatique, quand, à la douce pression de sa main, elle répondait par les deux siennes avec les mouvements gracieux d’un petit chat qui demande à être caressé.

Son cœur palpita en traversant l’entrée du parc. Elle resta silencieuse, en dépit d’elle-même quand son mari lui dit :

— Ici nous sommes chez nous !

Pour la première fois, il posa ses lèvres sur les siennes sans qu’elle s’y opposât ; on aurait dit l’acceptation passive d’un salut au milieu d’un spectacle absorbant. Toute son existence agitée de ces trois derniers mois n’était-elle pas un spectacle dont sa conscience avait été la spectatrice étonnée ?

La hall resplendissait de lumières, de chaleur, de tapis, de portraits, de statues, de serviteurs attentifs. Pas beau-