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frissonne sous le souffle d’un vent piquant, l’endroit s’assombrit bien davantage pour se mettre à l’unisson des routes noires et des noirs remblais, et tout cela réuni jette comme un voile de deuil sur le district, excepté quand les enfants jouent avec leurs chiens sur le sable ou sur la pelouse. Mais madame Glasher, dans les circonstances où elle se trouvait actuellement, aimait Gadsmere. La solitude du pays, que son peu d’attraits lui assurait, convenait à ses goûts. Quand elle allait se promener avec ses enfants dans une petite voiture attelée de deux poneys, elle n’avait pas à craindre de rencontrer des nobles dans leurs équipages, mais seulement des négociants dans leurs cabriolets ; à l’église, elle n’évitait les regards de personne, car le curé et sa femme ignoraient tout ce qui la concernait ; pour eux, elle était simplement une dame veuve, locataire de Gadsmere, et le nom de Grandcourt était absolument inconnu dans ce district où ne retentissaient que ceux de Fletcher et Gaucome, adjudicataires des houillères.

Dix années s’étaient écoulées depuis que la jeune et jolie femme d’un officier irlandais s’était enfuie avec le jeune Grandcourt, depuis qu’avait eu lieu le duel qui en résulta, et où les balles ne blessèrent que l’air. Cette affaire avait fait du bruit ; mais ceux qui s’en souvenaient ignoraient ce qu’était devenue cette madame Glasher dont la beauté et l’éclat avaient été remarqués à l’étranger, où l’on savait qu’elle vivait avec le jeune Grandcourt.

Il semblait naturel et même désirable qu’il se fût affranchi de cette liaison ; quant à elle, on pensait qu’une femme qui avait abandonné son enfant et son mari devait être tombée au plus bas de l’échelle sociale. Grandcourt s’en était fatigué, il avait poursuivi d’autres femmes de ses attentions ; mais un homme dans sa position devait alors désirer faire un mariage de raison avec la jolie fille d’une noble maison. Personne, aujourd’hui, ne parlait plus de