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— Monsieur Derondn, il faut que vous éclairiez mon ignorance. J’ai besoin de savoir pourquoi vous avez pensé que j’avais tort de jouer. Est-ce parce que je suis femme ?

— Pas précisément ; mais je l’ai regretté plus encore parce que vous êtes femme, répondit-il avec un sourire qu’il ne put réprimer. — Il était convenu entre eux maintenant que c’était lui qui avait renvoyé le collier. — Je crois qu’il serait préférable que les hommes ne jouassent pas ; c’est un goût abrutissant qui dégénère en maladie. En outre, je suis révolté de voir quelques-uns ramasser un tas d’argent et s’épanouir de joie, pendant que d’autres enragent de perdre. On voit assez de retours de fortune qui nous forcent à croire que notre gain est le résultat de la perte d’un autre ; c’est un des vilains aspects de la vie. On devrait le réduire autant que possible et ne pas s’amuser à l’exagérer. — Il s’était échauffé en parlant et sa voix était montée jusqu’à l’indignation.

— Mais vous admettrez bien qu’il y a des choses que nous ne pouvons empêcher, dit Gwendolen avec des larmes dans la voix, car la réponse n’avait pas été telle qu’elle l’espérait. Je veux dire que les choses arrivent en dépit de nous-mêmes ; nous ne pouvons pas toujours empêcher que notre gain ne soit la perte d’un autre.

— Assurément ; aussi est-ce pour cela que nous devons l’empêcher quand nous le pouvons.

Gwendolen se mordit les lèvres et se tut un instant ; puis, s’efforçant de reprendre le ton badin, elle répondit :

— Mais pourquoi le regrettez-vous davantage parce que je suis femme ?

— Peut-être parce que nous avons besoin que les femmes soient meilleures que nous ne le sommes.

— Mais supposez que nous ayons besoin que les hommes soient meilleurs que nous, dit-elle avec un petit air de défi.