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tant elle ne fit pas un reproche à sa fille ; mais le lendemain Gwendolen essaya de la dédommager par des caresses qui ne lui coûtèrent point d’efforts. Ayant toujours été l’âme et l’orgueil de la maison, adulée par sa mère, servie par ses sœurs, par la gouvernante et par les domestiques, il était naturel qu’elle considérât son plaisir personnel comme une chose très importante, puisque tous les autres s’y soumettaient. Bien que n’ayant jamais été cruelle, aimant au contraire à sauver des insectes qui se noyaient, elle se souvenait avec dépit d’avoir, dans un moment d’exaspération, étouffé le serin de sa sœur, parce que son chant strident couvrait le sien. Il est vrai qu’en compensation, elle avait eu la bonté d’acheter à sa sœur une souris blanche ; mais, quoique s’excusant intérieurement, la pensée de ce meurtre l’avait longtemps fait tressaillir. Gwendolen n’était donc pas exempte de remords ; mais elle aimait les pénitences faciles, et arrivée à vingt ans, sa force native s’était transformée en un empire sur elle-même assez puissant pour la garantir contre toute humiliation pénitentielle. S’il y avait en elle plus de feu et plus de volonté que jamais, sous ce feu couvait aussi plus de calcul.

En arrivant à Offendene, — que madame Davilow n’avait pas vu encore, car la maison avait été louée pour elle par son beau-frère M. Gascoigne, — quand la famille fut descendue de voiture et put en prendre une vue générale, personne ne dit un mot : la mère, les quatre sœurs et la gouvernante regardaient Gwendolen et attendaient avec anxiété la décision qu’elle allait prononcer. Des quatre filles, depuis Alice qui était dans sa seizième année, jusqu’à Isabelle dans sa dixième, on ne pouvait rien dire, sinon que c’étaient des enfants dont les robes commençaient à s’user. Miss Merry était d’âge déjà mûr, mais d’une expression nulle. La beauté fanée de madame Davilow avait quelque chose de pathétique que lui donnait le regard inquiet