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— Vous m’obligerez en vous éloignant au plus tôt. Les Torrington vont arriver et miss Harleth viendra souvent à cheval ici.

— De tout mon cœur. Puis-je vous être utile en allant à Gadsmere ?

— Non ; j’irai moi-même.

— Avez-vous réfléchi à ce plan ?

— Laissez-moi seul, voulez-vous ? dit Grandcourt d’un ton à peine perceptible.

Puis il jeta son cigare dans le feu et sortit.

Il passa la soirée seul dans son petit salon ; ses pensées étaient comme les cercles que l’on voit se former à la surface d’un étang ; ils meurent continuellement pour se reformer sans cesse, par suite d’une impulsion souterraine. Ici, l’impulsion était causée par l’image de Gwendolen, et, chose caractéristique, sa satisfaction ne provenait pas de la croyance que Gwendolen l’aimait, et que cet amour avait vaincu le ressentiment qui l’avait poussée à le fuir. Au contraire, il la trouvait exceptionnelle parce qu’elle ne l’aimait pas, et que, probablement, sans la pauvreté qui était soudainement tombée sur sa famille, elle ne l’aurait pas accepté. En somme, il en éprouvait plus de plaisir que si elle avait eu une forte inclination pour lui. Il ne lui semblait pas impossible que, peu à peu, elle en vînt à s’amouracher de lui plus que lui d’elle ; en tout cas, il la forcerait bien à se soumettre, et il avait du plaisir à se dire que sa femme commanderait à tous, lui seul excepté. Son goût ne le portait pas vers une femme qui n’aurait été que tendresse, que sollicitude, qu’obéissance volontaire. Il voulait être le maître d’une femme qui aurait désiré le dominer et qui, peut-être, serait capable d’en dominer un autre que lui.

Lush, ayant échoué dans ses tentatives sur Grandcourt, pensa qu’il ferait bien d’entrer en communication avec sir Hugo, qui pouvait lui être fort utile dans l’avenir. Il