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été obligée de revenir ici à cause de nos malheurs de famille.

— Ce fut cruel de votre part de partir pour Leubronn, dit Grandcourt, qui ne prit pas garde aux malheurs de famille dont Gwendolen — sans savoir pourquoi — tenait à ce qu’il fût instruit. Vous saviez bien que votre départ allait tout gâter ; que vous étiez le cœur et l’âme de tout ce qui m’intéressait. Vous suis-je donc tout à fait indifférent ?

Il lui était impossible de dire oui, et tout aussi impossible de dire non. — Devant cette difficulté inattendue, elle baissa de nouveau les yeux et rougit jusqu’aux oreilles. Grandcourt crut que ce silence révélait son inclination, et résolut de la lui faire exprimer plus clairement.

— Peut-être y a-t-il un intérêt plus profond… un attachement… un engagement… dont il aurait été généreux de me faire part ? Y a-t-il un homme entre nous ?

Elle aurait bien voulu répondre : Non, il y a une femme ! Mais comment prononcer ces paroles ? Si même elle n’avait pas promis à cette femme de garder le silence, il lui aurait été impossible d’aborder ce sujet. Grandcourt reprit après une pause :

— Dois-je en conclure que vous avez de la préférence pour un autre ?

Gwendolen, impatientée de son embarras, releva les yeux et dit d’un air défiant : « Non », désirant qu’il comprît : « Je puis pourtant ne pas vous accepter. »

— La dernière chose que je voudrais faire serait de vous importuner. Si je dois renoncer à tout espoir, ayez la générosité de me le dire de suite, afin que je m’en aille, que je parte, n’importe où !

Elle ressentit une alarme soudaine à l’idée de le voir s’éloigner définitivement. Que lui resterait-il alors ? Rien que l’ancienne tristesse. Elle aimait à le voir là. Elle répondit donc :