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— N’aie pas de ces idées-là avant de commencer, Gwen. Au palais épiscopal, tu vivras dans le luxe et tu l’as toujours aimé. Ce sera moins dur pour toi que de monter et descendre ces escaliers vermoulus, d’entendre les bruits du ménage et les bavardages des enfants.

— C’est comme un mauvais rêve, éclata Gwendolen. Je ne puis m’imaginer que mon oncle vous laissera demeurer dans un tel chenil. Il aurait dû prendre d’autres mesures.

— Sois raisonnable, chère enfant ; qu’aurait-il pu faire ?

— C’était à lui de chercher. Le monde me paraît bien mal fait si des personnes de notre rang doivent tomber si bas tout d’un coup !

Elle s’exprimait avec colère sous la pression de maux entièrement nouveaux pour elle ; pourtant malgré ses meurtrissures, elle ressentit un peu de remords devant l’accueil de son oncle et de sa tante, qui furent avec elle plus affectueux qu’ils ne l’avaient jamais été. Elle fut frappée de l’enjouement plein de dignité avec lequel ils parlaient des économies qu’ils étaient obligés de faire dans leur train de maison et dans l’éducation de leurs enfants. La grandeur du caractère de M. Gascoigne, un peu obscurcie par ses faiblesses mondaines, se montrait à son plus grand avantage sous les coups soudains de la mauvaise fortune. Prompt et méthodique, il avait non seulement renoncé à son équipage, mais encore repris ses habits passés de mode ; il ne mangeait plus de viande à son déjeuner, ne recevait plus de journaux, avait retiré Lowy de l’école, disposé les heures d’étude de ses garçons et mis toute sa maison sur le pied de la plus stricte économie. Madame Gascoigne et Anna, qui avaient toujours fait de papa leur modèle, ne s’inquiétaient pas de ce qui leur manquait à elles-mêmes et pensaient, en toute sincérité, que le résultat le plus