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mission, je vous le ferai savoir. Je crains seulement que les obstacles ne soient trop grands. Je vous suis néanmoins très obligée ; j’ai été bien hardie en vous priant de prendre cette peine.

La remarque interne que se fit Klesmer fut : « Elle ne me le fera jamais savoir ». Mais il reprit très respectueusement :

— Ordonnez ; en tout temps je serai à votre disposition. Voici l’adresse où vous me trouverez toujours.

Quand il eut pris son chapeau et salué, Gwendolen, convaincue qu’elle agissait avec une ingratitude que le clairvoyant Klesmer avait dû pénétrer, fit un effort désespéré pour cacher son désappointement et son irritation. Le regardant avec amabilité, elle lui tendit la main et dit en souriant :

— Si je prends la mauvaise voie, je n’y aurai pas été poussée par vos flatteries.

— À Dieu ne plaise que vous preniez une autre voie que celle où vous trouverez et donnerez le bonheur, répondit Klesmer d’un ton pénétré. Puis il lui baisa le bout des doigts et, une minute plus tard, on entendit le bruit des roues sur le sable annonçant son départ.

De sa vie, Gwendolen ne s’était encore trouvée aussi misérable, Ses yeux la brûlaient. Pas un sanglot, pas une larme ne vint la soulager. Chaque mot qu’avait prononcé Klesmer lui faisait l’effet d’un tison ardent.

« Trop vieille ! — Il aurait fallu commencer il y a sept ans ! — Vous n’atteindrez que la médiocrité ! — Travail ardu et incessant ! — Succès incertain ! — Pain gagné lentement, chétivement, pas du tout peut-être ! — Mortifications ! — » Toutes ces phrases étaient des souffrances pour elle. Comment emmener à Londres sa mère et ses sœurs, s’il ne lui était pas possible de gagner de l’argent tout de suite ? Quant à consentir à être la protégée de miss Ar-