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reprenant le ton d’amabilité sur lequel il avait commencé l’entretien. Je vous ai fait de la peine, c’était inévitable ; je me suis cru obligé de vous dévoiler la vérité. Je n’ai pas dit, je ne veux pas dire que vous auriez tort d’entreprendre la carrière d’artiste. Si vous prenez cette courageuse résolution, je vous demanderai la permission de vous serrer la main en signe de cette franc-maçonnerie où nous nous consacrons au service de l’art et de vous aider en ami et en confrère.

Gwendolen garda le silence. Elle se sentait bien loin de cette résolution. — Où il y a le devoir du service, reprit Klesmer plus sérieusement, il y a aussi le devoir de l’acceptation. Ce n’est point une question d’obligation personnelle, et vous me permettrez de vous confier une affaire qui m’est toute particulière. J’attends un événement qui me permettra de vous être utile si vous venez à Londres, avec votre famille bien entendu. Cet événement, c’est mon mariage avec miss Arrowpoint, et cela ne fera que doubler mon droit à votre confiance comme ami.

Gwendolen sentit le feu lui monter au visage. Que Klesmer épousât miss Arrowpoint, cette nouvelle ne la surprenait pas ; à tout autre moment elle s’en serait amusée en se figurant les scènes qui avaient dû se passer à Quetcham. Mais ce qui absorbait son esprit, c’était le tableau de son avenir prochain que Klesmer lui avait tracé. L’idée que miss Arrowpoint pouvait être sa protectrice était encore une répulsion pour elle ; la proposition de Klesmer de l’aider l’irritait aussi, après son jugement humiliant de ses capacités. Elle se maîtrisa, se leva et dit de son ton habituel :

— Je vous remercie sincèrement, monsieur Klesmer ; certes rien n’est plus admirable que miss Arrowpoint, mais je ne puis rien décider encore. Si je me résous à faire ce que vous m’avez conseillé, j’userai de votre per-