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sur le théâtre. Bien entendu, je ne parle pas des comparses, qui ne sont pas plus payées que des ouvrières en couture.

— Naturellement, il faut que je gagne plus que cela, mais je crois que je pourrais apprendre vite. Je ne suis pas stupide. J’ai vu à Paris des actrices qui jouaient des rôles de grandes dames et qui ne l’étaient cependant pas. J’admets que je n’aie aucun talent. Je crois cependant que c’est un avantage, même au théâtre, d’être une lady plutôt qu’une horreur.

— Ah ! comprenons-nous bien, répliqua Klesmer avec plus de vivacité. Je vous parlais de ce qu’il faudrait faire si vous visiez à devenir une véritable artiste… si vous preniez la musique et le drame comme la plus haute vocation vers laquelle tendraient vos efforts. Mais… mais il y a évidemment d’autres moyens pour une jeune personne qui veut se produire devant le public. Elle peut compter sur sa beauté comme passe-port ; elle peut espérer provoquer une admiration qui dispense de talent. Tout cela n’a rien à faire avec l’art. La femme qui adopte cette carrière n’est pas une artiste : elle ne pense qu’à entrer dans une vie luxueuse par un chemin facile et court… peut-être arriver à un mariage. C’est la chance la plus brillante, mais aussi la plus rare. En tout cas, au début, c’est à peine si elle peut gagner avec indépendance un morceau de pain, et je me tais sur les indignités auxquelles elle est exposée.

— Je désire être indépendante, dit Gwendolen, craignant qu’il n’y eût du mépris pour elle dans ces dernières paroles. C’était le motif pour lequel je vous demandais si je ne pourrais pas trouver d’engagement immédiat. Il est naturel que je ne sache pas comment les choses se pratiquent au théâtre, mais je croyais que j’aurais pu me rendre indépendante. Quoique sans argent, je ne veux accepter de secours de personne.

— C’est un mot bien dur pour vos amis, dit Klesmer en