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se garer contre sa séduction. Quand il revint sur ses pas, il lui dit avec douceur :

— Je crois pouvoir affirmer que vous ne savez rien des artistes et de leur vie ; je veux parler des musiciens, des acteurs, des artistes de ce genre.

— Je l’ignore, en effet.

— Vous avez, — pardonnez-moi de toucher à cette corde, mais elle doit être prise en considération, — vous avez environ vingt ans.

— J’en ai vingt et un, répondit-elle avec un peu d’hésitation. Me croyez-vous trop âgée ?

Klesmer avança la lèvre inférieure, fit claquer ses grands doigts d’une façon tout à fait énigmatique, mais ne répondit rien.

— Il y a des personnes qui commencent plus tard que d’autres, continua Gwendolen, qui se fiait à sa persuasion habituelle.

— Vous n’avez probablement jamais pensé jusqu’ici à la carrière artistique, reprit Klesmer plus aimable que jamais, vous n’avez jamais nourri l’idée,… l’ambition… comment dirai-je ?… avant le malheur qui vient de vous frapper, vous n’avez jamais souhaité de devenir actrice ou quelque chose de semblable ?

— Pas précisément ; mais j’aime à jouer la comédie. J’ai joué ; vous m’avez vue, si vous vous le rappelez, dans des charades et en costume d’Hermione. — Elle craignait qu’il ne l’eût oublié.

— Oui, oui, je m’en souviens ! — Et il se remit à par courir la chambre. Il recourait à ce mouvement ambulatoire chaque fois qu’il avait un argument à formuler ou à faire.

Gwendolen comprit qu’il pesait ses chances de réussite, mais elle ne pouvait supposer que le plateau de la balance penchât du mauvais côté, et elle crut bien faire de dire :