Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

là. Elle était résolue à laisser ignorer aux Langen le désastre qui avait frappé sa famille et à ne pas faire appel à leur compassion ; elle pouvait craindre cependant qu’en la voyant engager ses bijoux, ils ne l’accablassent de questions et de remontrances. La meilleure marche à suivre était donc, une fois le matin venu, d’aller échanger son collier contre de l’argent, de dire aux Langen que sa mère la rappelait sans en donner le motif, et de prendre, le soir même, le train pour Bruxelles. Elle n’avait personne pour l’accompagner et les Langen feraient sans doute des difficultés pour la laisser partir seule, mais sa volonté était inébranlable.

Au lieu de se mettre au lit, elle fit ses malles, et, tout en y procédant avec une activité presque fébrile, elle pensa aux scènes qui se passeraient le lendemain, aux explications fastidieuses, aux adieux, au voyage, etc. Il est vrai qu’il lui restait une alternative : celle de demeurer encore un jour et de tenter de nouveau la chance du jeu. Mais alors lui apparaissait Deronda, qui ne la quittait pas des yeux, qui la poursuivait de son exaspérante ironie au moment où la chance l’abandonnait encore. Cette image importune la fit pencher vers un départ immédiat. Lorsqu’elle était entrée dans sa chambre, minuit sonnait, et, quand elle eut fini d’emballer, les premières lueurs de l’aube perçaient à travers les rideaux de sa chambre et faisaient pâlir la lumière des bougies.

À quoi bon se coucher et chercher un sommeil qui ne viendrait pas ? Des ablutions d’eau froide devaient suffire à la reposer ; et puis une légère trace de fatigue la rendrait plus intéressante. Avant six heures, elle avait déjà revêtu son costume de voyage, car elle comptait sortir aussitôt qu’elle pourrait espérer voir les dames se rendre aux bains. En attendant, elle s’était assise devant son miroir, dans une attitude qu’elle n’aurait pu choisir meilleure si elle avait