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et leur apprit qu’elle s’était engagée envers Klesmer. Madame Arrowpoint tomba dans un état indescriptible. Tant qu’elle avait vu Klesmer sous l’aspect d’un musicien qu’elle patronnait, ses bizarreries lui avaient paru acceptables ; mais le voir inopinément sous celui d’un gendre, c’était plus qu’elle n’en pouvait supporter. Que dirait le monde, auquel la pauvre dame avait coutume de représenter sa fille comme un modèle d’excellence ? En recevant ce choc, elle donna cours à sa colère, et s’écria :

— Si Klesmer s’est permis de te demander ta main, ton père chassera ses espérances à coups de cravache… Mais parlez donc, monsieur Arrowpoint ?

Le père ôta son cigare et s’éleva à la hauteur de l’événement en disant :

— Cela ne pourra jamais se faire, Kate.

— Se faire ! glapit madame Arrowpoint ; quelle est la personne de bon sens qui penserait que cela puisse se faire ? Vous pourriez tout aussi bien dire qu’il est permis d’empoisonner ou d’assassiner ! Si ce n’est pas une comédie que tu joues. Catherine, tu es folle !

— J’ai tout mon bon sens, maman, et je parle sérieusement. M. Klesmer n’est pas à blâmer ; il n’a jamais pensé m’épouser. J’ai découvert qu’il m’aime, et comme, moi aussi je l’aime, je lui ai engagé ma foi.

— Ne dis pas cela, Catherine, s’écria madame Arrowpoint avec amertume. Tu seras la fable du monde. Chacun dira qu’il faut que tu te sois jetée à la tête d’un homme payé pour venir chez nous,… d’un je ne sais quoi !… d’un bohémien !… d’un juif !.. Que sais-je ?…

— Qu’importe, maman ? répondit Catherine indignée à son tour. Nous savons tous que c’est un génie… comme le Tasse.

— L’époque ne ressemblait pas à celle-ci, et Klesmer n’est pas un Tasse ! hurla madame Arrowpoint en s’échauf-