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Catherine, toujours peinée quand Klesmer se montait de la sorte, ne manqua pas de lui dire le lendemain, dans le salon de musique :

— Pourquoi vous êtes-vous emporté hier avec M. Bult ? Je suis sûre qu’il ne pensait pas à mal.

— Voudriez-vous donc que je sois aimable avec lui ? demanda Klesmer d’un air furibond.

— Je crois que l’impolitesse est indigne de vous.

— Alors vous le supportez patiemment ? Vous admirez les platitudes de ce politicien aussi insensible qu’un bœuf pour tout ce qui ne touche pas à la politique ? Vous pensez que sa stupidité pyramidale sied bien à la dignité d’un gentilhomme anglais ?

— Je n’ai rien dit de semblable.

— Vous pensez que je me suis conduit sans dignité et vous en êtes offensée ?

— Vous approchez un peu de la vérité, dit-elle en souriant.

— Alors il vaut mieux que je fasse mes malles et que je parte ?

— Je n’en vois pas le motif. S’il est de mon devoir de supporter vos critiques sur mon opérette, vous devez aussi tolérer ma critique sur votre impatience.

— Mais je la tolère. Vous auriez donc voulu que j’acceptasse son inepte impertinence sur un « simple musicien » sans le remettre à sa place ? Ainsi, il faudra que j’entende blasphémer mes dieux et que je me laisse insulter sans rien répondre ! Mais, pardon, vous ne pouvez voir les choses comme moi ; vous ne comprenez pas la rage de l’artiste ; il est d’une autre caste que vous.

— C’est vrai, répondit Catherine, qui laissa percer quelque chose du sentiment qu’elle éprouvait. Il est d’une caste à laquelle je voudrais atteindre,… une caste au-dessus de la mienne.