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vanité n’étaient que des faiblesses qui n’excédaient pas celles des meilleures familles anglaises, et la nature de Catherine Arrowpoint n’était pas assez turbulente pour se mettre aux prises avec elles. À part sa bonté native, elle était peut-être trop froidement sûre d’elle. Mais c’était aussi une de ces femmes avec lesquelles les rapports journaliers ont le charme de la découverte ; c’était une de ces femmes dont la pureté de faculté et d’expression fait naître le désir de savoir ce qu’elles pensent sur tous les sujets. Il ne leur fallut pas longtemps pour savoir qu’ils s’intéressaient l’un à l’autre. Klesmer ne concevait point que miss Arrowpoint pût le considérer comme un amoureux possible, et elle, de son côté, ne se croyait pas faite pour inspirer un sentiment plus fort que l’amitié, à moins que ce ne fût de la part d’un homme amouraché de sa fortune. Dans ces conditions, il n’avait pas semblé nécessaire que Klesmer restreignît ses visites, soit à la ville, soit à la campagne. Si miss Arrowpoint avait été pauvre, il n’aurait pas hésité un instant à lui déclarer avec ardeur son amour, au lieu de faire courir tempétueusement ses doigts sur le clavier ; quant à Catherine, elle s’était dit que si Klesmer lui demandait sa main, elle la lui accorderait, et Klesmer était convaincu que cette visite à Quetcham était la dernière qu’il y ferait, car il sentait que ses brusqueries se faisaient jour plus fréquemment et que Catherine y devenait plus sensible.

Ce fut sur ces entrefaites qu’entra en scène le lord en expectative, M. Bult, lequel, nul dans la vie privée, avait des opinions arrêtées sur les districts du Niger, se sentait chez lui au Brésil, parlait avec décision des affaires des mers du Sud, étudiait ses discours parlementaires, et avait en outre la santé robuste et la coloration prononcée d’un solide Breton. Catherine, sachant bien que c’était un mari comme on en désire pour les riches héritières, ne lui faisait qu’un reproche : c’est qu’il l’ennuyait mortellement,