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dans les pièces de théâtre et dans d’autres productions ce qui me semblait beau, et je me créai un monde à moi. Mon père voulut me faire adopter un genre qui me répugnait. La signora lui dit un jour ; « Elle ne sera jamais artiste, elle ne sera jamais qu’elle-même. Cela peut aller maintenant ; mais, vous verrez plus tard ; elle n’aura pas plus de physionomie et de jeu sur le théâtre qu’un oiseau chanteur. » Mon père se fâcha et ils se querellèrent. Je faisais cependant ce que je pouvais pour devenir artiste, puisque c’était là ce que mon père attendait de moi. Au bout de quelque temps, la signora nous quitta et une gouvernante vint compléter mon instruction, car mon père commençait à craindre que je ne chantasse trop ; je jouais néanmoins de temps en temps. Je souhaitais de quitter cette carrière du théâtre, mais je ne savais où aller et je redoutais le monde. Je me disais, en outre, que ce serait mal d’abandonner mon père et que ma mère me le reprocherait peut-être.

Mirah retomba dans sa rêverie.

— Ne vous a-t-on pas appris vos devoirs ? demanda madame Meyrick. Elle n’osait pas se servir du mot « religion », ne sachant pas ce qu’était la croyance juive.

— Non ! on me disait seulement que je devais obéir à mon père et faire ce qu’il désirait. Il ne suivait pas notre religion à New-York, et je crois qu’il aurait voulu que je ne la connusse pas. Mais, comme ma mère avait l’habitude de m’emmener avec elle à la synagogue et que je me rappelais qu’elle m’asseyait sur ses genoux pour que je pusse regarder à travers le grillage de la galerie des femmes et entendre l’office, je brûlais d’y aller. Un jour, encore toute petite, je m’échappai et tâchai de trouver la synagogue, mais je me perdis ; je rôdai longtemps à travers la ville jusqu’à ce qu’un colporteur, après m’avoir questionnée, me ramenât à la maison. Mon père ne m’ayant pas trou-