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cependant je n’avais pas sept ans quand je lui fus ravie et j’en ai dix-neuf maintenant.

— Je comprends cela, répondit madame Meyrick ; les anciens souvenirs sont ceux qui durent le plus longtemps.

— Oh ! oui, bien anciens. Je crois que dès que je me suis éveillée à la vie, j’ai aimé le visage de ma mère ; elle était sans cesse auprès de moi, m’entourant de ses bras et chantant un hymne hébreu que plus tard elle m’apprit. C’est la première chose que j’aie jamais chantée. Quand j’étais couchée dans mon petit lit blanc, elle se penchait sur moi et fredonnait à demi-voix. Je rêve souvent de ce temps ; je le revois pendant mon sommeil. Ah ! si je pouvais retrouver ma mère, je suis sûre que je la reconnaîtrais !

— Il faut vous attendre à du changement après douze années, dit avec bonté madame Meyrick. Voyez mes cheveux gris. Il y a dix ans, ils étaient bruns. Les jours, les mois et les années passent sur nous sans trêve ni merci, et laissent après eux les marques de leurs pas, qui sont souvent bien lourds.

— Ah ! je suis sûre qu’elle a eu le cœur déchiré quand je n’ai plus été près d’elle ! Quelle joie si nous pouvions nous revoir et si je pouvais lui dire combien je l’aime, combien j’aspire à la consoler de ses chagrins ! Alors je ne regretterais rien ; je serais heureuse d’avoir vécu dans la peine. J’ai désespéré. Le monde me semblait méchant ; je sentais que ma mère était morte et que la mort était mon seul moyen d’aller à elle. Mais, au dernier moment, — hier, — quand j’attendais que l’eau se refermât sur moi, je m’imaginais que la mort serait une miséricorde. Puis la bonté vivante m’apparut, et je repris confiance en la vie. Maintenant je suis avec vous, — ici ; — la paix et l’espérance sont rentrées dans mon âme. Je ne désire plus rien ; je puis attendre ; car j’espère, je crois et je suis