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conseille d’être circonspecte. » Elle rendit à Mirah son sourire et dit :

— Je crains que ces pauvres petits pieds n’aient été obligés dernièrement de soutenir un peu trop longtemps leur fardeau ; mais, aujourd’hui, Mirah se reposera et me tiendra compagnie.

— Et elle vous dira une foule de choses que je n’entendrai pas, murmura Mab, qui se voyait au premier volume d’un intéressant roman dont elle était forcée de passer plusieurs chapitres pour aller retrouver ses élèves.

Kate et Amy étaient déjà sorties, l’une pour prendre des points de vue sur la Tamise et l’autre pour ses affaires. La petite mère en avait ainsi décidé, voulant demeurer seule avec l’étrangère, dont il était nécessaire qu’elle connût l’histoire.

Ce matin-là, le parloir ressemblait à un petit temple. Le soleil dardait ses rayons sur la rivière et un air tiède et balsamique entrait par la fenêtre ouverte ; les murs portaient leurs hôtes silencieux, qui, éclairés en plein, s’étalaient dans leurs cadres. Madame Meyrick, dont les peines qu’elle avait endurées n’avait pas altéré l’amabilité du visage, assortissait des laines pour sa broderie ; Hafiz ronronnait sur l’appui de la fenêtre ; l’horloge continuait son tic tac incessant et monotone, et le bruit des voitures que l’on entendait de temps à autre faisait ressortir encore davantage le silence et la placidité de l’intérieur. La petite mère, pensant que ce calme inviterait la jeune fille à parler, s’abstint de toute remarque. Mirah s’était assise en face d’elle, les mains jointes sur ses genoux, les jambes croisées, les yeux errant avec satisfaction sur les objets qui l’environnaient et s’arrêtant avec un tendre respect sur madame Meyrick. Enfin, elle commença d’une voix mélodieuse et attendrie :

— Je me rappelle parfaitement le visage de ma mère ;