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dix-neuvième siècle, que celles qui rappelaient les vertus et les vices d’une race depuis longtemps opprimée et persécutée. Mais, aujourd’hui que le désir de Mirah le forçait, en quelque sorte, de procéder à un examen minutieux des circonstances, certaines images désagréables se rattachant à cette mère juive et à son fils, à ce qu’ils pouvaient être devenus tous deux, se présentaient d’elles-mêmes devant ses yeux. Certes, la délicatesse et le charme de la jeune fille étaient de fortes présomptions en faveur de ses proches, mais il fallait attendre pour en savoir davantage, et madame Meyrick pourrait peut-être recueillir de la bouche de Mirah des données indicatrices qui rendraient les démarches à tenter plus faciles. Sa voix, son accent, ses regards, la douce pureté qui émanait de toute sa personne, le faisaient reculer de plus en plus devant l’idée de l’associer d’une façon quelconque à quoi que ce soit de haïssable ou de méprisable ; toutefois il ne pouvait s’empêcher de penser avec crainte à une parenté inconnue, et, dans le cas de Mirah, comme dans le sien, il trouvait des motifs plausibles pour en redouter les conséquences.

Que fallait-il faire pour cette pauvre enfant ? Elle avait avant tout besoin de protection, de sécurité, d’encouragement, et son cœur chevaleresque lui disait que plus tôt il pourrait appeler sur elle l’intérêt des autres, sans parler du sien, mieux il s’acquitterait des devoirs qu’il avait contractés envers elle. Il n’avait point de droits à la pourvoir entièrement, quoiqu’il lui fût possible de le faire, et l’impression profonde qu’elle avait produite sur lui le portait à désirer qu’elle se considérât comme entièrement indépendante. De vagues lueurs, de lointaines perceptions d’avenir, qu’il essayait de chasser comme des fantômes obsédants, laissaient cependant leur influence sur lui ; il avait surtout peur que ceux qui le voyaient de près ne devinassent tout de suite l’histoire de ses relations avec la