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lieu. Ces idées suffisaient pour entretenir en lui l’espoir et la crainte. La recherche de sa mère, à laquelle Mirah voulait se livrer, le préoccupait tout particulièrement. Son premier mouvement le poussait à l’aider dans cette recherche ; si son frère et sa mère étaient à Londres, les moyens de perquisition ne manquaient pas ; mais à la sympathie de Daniel pour sa protégée se mêlait un sentiment d’anxiété bien naturel.

Son désir personnel de connaître sa propre mère, ou d’en apprendre quelque chose, était toujours accompagné d’une arrière-pensée pénible ; il pouvait se faire que le bonheur éprouvé par Mirah, en retrouvant la mère et le frère dont elle était séparée depuis tant d’années, se changeât en déception et même en calamité. Savait-on quel pouvait être leur état moral actuel ? Il est vrai qu’elle avait dit que sa mère et son frère étaient bons et vertueux ; mais cette bonté et cette vertu n’avaient existé peut-être que dans son imagination, et douze années de séparation étaient plus que suffisantes pour amener de grands et redoutables changements. En dépit de sa tendance innée à se mettre du côté des victimes du préjugé, son intérêt ne s’était jamais porté d’une façon pratique sur les juifs actuels, et ce qu’il en connaissait ne lui paraissait pas bien attrayant, ni bien encourageant. Il tenait pour constaté que les juifs instruits et bien élevés renonçaient à leur croyance pour se confondre avec le peuple de leur pays natal ; le mépris attaché au nom de juif soulevait toutes ses sympathies pour cet héritage de douleurs ; mais il était impossible qu’il ne connût pas de fâcheuses histoires sur les caractères et les occupations de certains membres de ce peuple ; et, quoiqu’il protestât sans cesse contre la disjonction de l’histoire du temps passé de celle de l’époque moderne, il n’était jamais arrivé à des conclusions plus définies sur les Israélites du