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cœur de la pauvre fille étonnée ; elle recula un peu pour mieux voir les quatre visages qui étaient devant elle et dont la bonté se réfléchissait dans ses yeux, non par un sourire, mais par ce changement indéfinissable qui fait voir que l’anxiété se transforme en contentement. Elle regarda Deronda comme pour reporter sur lui toute cette affabilité ; puis, se tournant vers madame Meyrick, elle lui dit d’une voix harmonieuse et avec recueillement :

— Je suis étrangère ; je suis juive. Vous pourriez croire que j’ai été méchante !

— Non, nous sommes sûres que vous êtes bonne ! s’écria Mab.

— Nous ne pensons pas mal de vous, pauvre enfant. Vous serez en sûreté avec nous, dit madame Meyrick. Venez et asseyez-vous. Vous allez manger quelque chose et puis vous irez vous coucher.

L’étrangère regarda de nouveau Deronda, qui lui dit :

— Vous ne craindrez rien avec ces amies. Reposerez-vous cette nuit ?

— Oh ! je n’aurai pas peur et je reposerai. Je crois qu’elles sont les anges secourables.

Madame Meyrick voulut la faire asseoir, mais elle recula encore, et cette pauvre créature, harassée, parla comme si elle éprouvait un scrupule d’être si bien reçue avant d’avoir fait le récit de ce qui la concernait.

— Je m’appelle Mirah Lapidoth. J’ai fait une longue route ; je suis venue seule de Prague jusqu’ici. Je me suis sauvée ; j’ai fui des choses terribles. Je suis venue à Londres pour retrouver ma mère et mon frère. On m’a enlevée à ma mère quand j’étais petite, mais j’ai cru pouvoir la retrouver. J’ai eu beaucoup de chagrin ; — les maisons avaient été démolies ; — je n’ai pu savoir ce qu’elle était devenue. Cela a duré longtemps, et je n’avais pas beaucoup d’argent. Voilà pourquoi je suis dans l’affliction.