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quand le jour a paru, j’ai senti résonner en moi ce mot : « Jamais ! jamais ! » Cependant maintenant… je commence… à croire… — Des sanglots entrecoupaient ses paroles. — Il m’est ordonné de vivre… peut-être allons-nous vers elle !

Alors, pleurant à chaudes larmes, elle plongea sa tête dans son giron. Deronda espéra que ces larmes calmeraient sa surexcitation. Au fond de l’âme, il était assez embarrassé à l’idée de se présenter avec cette jeune fille dans Park-Lane, ce que, sans y réfléchir davantage, il avait d’abord résolu de faire. Certes, aucune femme n’était meilleure ni plus charitable que lady Mallinger ; mais il n’était pas probable qu’elle fût chez elle, et il ne voulait à aucun prix exposer cette délicate enfant aux regards et aux quolibets de la valetaille. Où lui trouver un autre asile ? Il était rempli de crainte sur l’issue d’une aventure dont la responsabilité lui semblait d’autant plus lourde, que l’impression produite sur lui par cette juvénile créature était plus forte. Une autre ressource lui vint à l’idée : il pouvait se permettre de la confier à madame Meyrick, dans la petite maison de Chelsea, où il avait été souvent depuis son retour du continent ; il était sûr qu’en faisant appel à ces cœurs dévoués ils n’hésiteraient pas à secourir l’innocence dans le besoin. Hans était en Italie et Daniel se sentit heureux de pouvoir se présenter avec sa protégée dans la maison, où il trouverait la maternelle figure d’une quakeresse et trois filles ne connaissant du mal que ce qu’elles en avaient lu dans les livres, qui associeraient cette aimable juive à la Rébecca d’Ivanhoe, et qui, en outre, penseraient que ce qu’elles feraient à la requête de Deronda, ce serait pour leur idole, Hans. La vision de la maison de Chelsea s’étant produite dans son esprit, il n’hésita plus.

Le bruit assourdissant d’un cab, après le silence du canot glissant sur la rivière, lui sembla insupportable. Heureusement, la jeune fille avait été plus calme depuis la crise qui