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— Au contraire, je trouve que son teint est un de ses principaux attraits. C’est une pâleur chaude. Ce nez délicat et légèrement courbé est étourdissant. Je n’ai jamais vu de plus belle bouche ; ses lèvres ondulent finement ; n’est-ce pas, Mackworth ?

— Moi, je ne supporte pas ce genre de bouche ; elle paraît trop contente d’elle ; les courbes sont trop immobiles. J’aime une bouche qui remue plus que cela.

— Pour ma part, je la trouve odieuse, dit une douairière. C’est étonnant comme les filles désagréables sont en vogue. Qui sont ces Langen ? Les connaît-on ?

— Ils sont tout à fait comme il faut. J’ai dîné plusieurs fois avec eux à l’hôtel de Russie. La baronne est Anglaise. Miss Harleth l’appelle sa cousine. Elle est elle-même très bien élevée.

— Vraiment ! et le baron ?

— Un excellent portrait de famille.

— Votre baronne est toujours au jeu, dit Mackworth. J’imagine que c’est elle qui a fait jouer miss Harleth.

— Oh ! la baronne joue très-modérément ; dix francs par-ci par-là. Miss Harleth est plus inconsidérée. Mais ce n’est qu’une boutade.

— On dit qu’elle a reperdu tout son gain d’aujourd’hui. Sont-ils riches ? Qui le sait ?

— Ah ! qui le sait ? Le sait-on de n’importe qui ici ? dit M. Vandernoodt, qui alla rejoindre les Langen.

La remarque que, ce soir-là, Gwendolen tournait la tête plus que d’ordinaire était juste. Ce n’est pas qu’elle voulût s’abandonner complètement à l’idée de faire le serpent ; mais elle cherchait le moyen de voir Deronda et de s’informer de cet étranger, dont le regard la faisait encore tressaillir. L’occasion ne tarda pas à se présenter.

— Monsieur Vandernoodt, vous qui connaissez tout le monde, dit-elle avec une certaine langueur d’articulation, apprenez-moi donc quel est ce monsieur près de la porte.