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son livre d’économie politique et répondit avec le plus pur accent écossais :

— Ils appelaient neveux leurs propres enfants.

— Pourquoi ?

— Par convenance. Vous savez bien que les prêtres ne se marient pas et que leurs enfants seraient illégitimes.

M. Fraser, qui avait donné de l’importance à cette dernière phrase, était impatient de reprendre sa lecture ; mais Deronda, comme s’il venait d’être mordu par un serpent, demeura immobile, tournant le dos à son maître.

Il avait toujours appelé sir Hugo Mallinger, son oncle, et, un jour qu’il s’était enquis de son père et de sa mère, le baronnet avait répondu : « Tu les as perdus quand tu étais tout petit ; c’est pourquoi je prends soin de toi. » Daniel essaya de percer le voile qui enveloppait ses premières années, mais il n’y parvint pas ; il ne se souvenait que du petit monde dans lequel il vivait. Jusque-là, il n’avait pas tenu à en savoir davantage, car il aimait trop sir Hugo pour être affligé de la perte de parents inconnus. La vie était délicieuse pour lui avec un oncle indulgent et jovial, bel homme dans la force de l’âge, que Daniel jugeait comme absolument parfait, et dont la résidence, à la fois historique et romantique, passait pour une des plus belles de l’Angleterre. C’était un mélange d’architecture pittoresque provenant d’une ancienne abbaye, dont les restes existaient encore. Diplow, situé dans un autre comté et moins riche en terres, était entré dans l’héritage de la famille par le côté féminin ; Henri VIII avait fait don aux Mallinger de Monk’s-Topping, qui vint s’ajouter aux terres voisines de King’s-Topping qu’ils possédaient depuis plusieurs siècles ; car ils reportaient leur origine jusqu’à un certain Hugues le Malingre, venu avec le Conquérant. Ce Hugues avait sans doute reçu ce surnom à cause de sa complexion maladive, heureusement corrigée chez ses