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— Mon nom est Lydia Glasher. J’étais la femme du colonel Glasher. M. Grandcourt ne doit pas épouser d’autre femme que moi. Pour lui, j’ai quitté mon mari et mon enfant, il y a neuf ans. Ces deux enfants sont les siens, et nous en avons encore deux autres, deux filles, plus âgées. Mon mari est mort, et c’est le devoir de M. Grandcourt de m’épouser. Ce petit garçon doit être son héritier.

Elle regardait l’enfant tout en parlant, et les yeux de Gwendolen suivaient les siens. Le petit gonflait ses joues en essayant de souffler dans une trompette qui restait muette. Son chapeau, retenu par un cordon, tombait sur son dos et les boucles de ses cheveux noirs reluisaient sous les rayons du soleil. Il était aussi beau qu’un chérubin. Les deux femmes se dévisagèrent de nouveau et Gwendolen répondit avec hauteur, quoiqu’elle tremblât et que ses lèvres eussent pâli :

— Je n’empêcherai rien de ce que vous désirez.

— Vous êtes attrayante, miss Harleth ; mais, quand il m’a connue, moi aussi, j’étais jeune. Depuis, ma vie a été brisée. Ce ne serait pas juste qu’il fût heureux et moi misérable, et que mon fils fût sacrifié à un autre.

L’étrangère avait parlé avec amertume, mais sans violence. En la regardant et en l’écoutant, Gwendolen éprouvait comme une vague terreur ; une vision se dressait tout à coup devant elle et lui disait : « Je suis la vie d’une femme ! »

— Avez-vous encore quelque chose à m’apprendre ? demanda-t-elle d’une voix basse mais froidement hautaine.

— Rien. Vous savez tout ce que je désirais vous faire connaître.

— Alors je m’en vais, dit Gwendolen en s’éloignant, après avoir fait un salut cérémonieux, qui lui fut rendu avec une grâce égale.

Elle ne put rejoindre la société, et, selon toute probabilité, on n’avait pas envoyé à sa recherche. Se voyant