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à quoi se résoudre. Elle pouvait être réduite à une sujétion quelconque ; réaliserait-elle son idée favorite, faire ce qu’il lui plairait ? La perspective d’épouser Grandcourt lui paraissait, en somme, assez agréable, puisque, avec un titre, des richesses, le luxe, elle serait probablement à même d’agir à sa guise ; cette idée l’enivrait comme un parfum longtemps désiré et qu’elle n’avait jamais connu ; mais, malgré toute sa perspicacité, malgré tout ce que lui avaient appris les romans, dont sa mère trouvait la lecture si dangereusement instructive, son jugement était en défaut sur le compte de Grandcourt. Certes, il était d’un calme parfait ; on ne trouvait en lui aucune absurdité ; mais qu’était-il encore ? Pourrait-elle en faire un mari comme elle le désirait ? Il avait été partout ; il avait tout vu ; la préférence qu’il témoignait à Gwendolen Harleth en était donc d’autant plus flatteuse. Il ne paraissait pas avoir de goûts bien particuliers ; tant mieux ! sa femme aurait alors plus de liberté pour suivre les siens. Mais pourquoi ressentait-elle maintenant un sentiment de contrainte quand elle était avec lui ? Pourquoi était-elle moins hardie, moins gaie quand elle lui parlait que quand elle s’adressait à tout autre ? Elle avait peur d’elle-même et commençait à trouver qu’il était difficile d’agir à sa fantaisie.

Assise dans la voiture en face de sa mère, pour retourner à Offendene, sa surexcitation et son silence obstiné semblèrent à madame Davilow des signes évidents qu’il s’était passé quelque chose d’insolite entre elle et Grandcourt. Elle se détermina à risquer un mot sur ce sujet, d’autant mieux que les Gascoigne devaient dîner le soir même à Offendene ; et elle voulait consulter le recteur après lui avoir fait part de ce qui s’était passé.

— Qu’est-il donc arrivé, ma chérie ? commença-t-elle en regardant sa fille avec tendresse.

Gwendolen jeta les yeux autour d’elle, comme si elle se