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— Êtes-vous aussi incertaine sur votre compte que vous faites incertains les autres sur vous-même ? demanda Grandcourt.

— Je suis tout à fait incertaine de ce qui me concerne, et j’ignore comment les autres peuvent être incertains.

— Et vous voulez qu’ils sachent que vous ne vous en souciez pas ? fit Grandcourt avec plus de rudesse dans le ton.

— Je n’ai pas dit cela, répliqua en hésitant Gwendolen, qui évita de le regarder et qui continua de fouetter le buisson de rhododendrons. Elle aurait voulu être à cheval et se sauver au galop.

— Alors, c’est vrai ; vous ne vous en souciez pas ? reprit Grandcourt d’un ton de voix plus adouci.

— Ah ! ma cravache ! s’écria Gwendolen. Elle l’avait laissé tomber ; quoi de plus naturel dans un moment d’agitation ? Mais ce qui paraissait moins naturel de la part d’une cravache livrée à elle-même, c’est qu’elle avait passé au-dessus des arbustes voisins et qu’elle était allée se loger dans les branches d’un azalée, à mi-côte du monticule. Elle se hâta de descendre en courant et en riant aux éclats ; elle put parvenir avant lui jusqu’à la cravache, la saisit et continua de courir jusqu’à ce qu’elle fût arrivée sur le terre-plein. Alors elle regarda Grandcourt d’un air de satisfaction provocante, les joues animées, comme si elle venait de remporter une victoire. Madame Davilow n’eut point de peine à le remarquer.

« Tout cela est de la coquetterie, pensa Grandcourt ; la prochaine fois, je compte bien qu’elle y viendra ». Selon lui, ce résultat devait arriver le lendemain, pendant le pique-nique de Cardell-Chase, suivant le plan adopté au bal de lord Brackenshaw. Pour Gwendolen même, ce résultat était probable, car elle sentait bien qu’elle allait être obligée de prendre une décision ; seulement, elle ne savait pas encore