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— Quels endroits aimez-vous ? reprit Grandcourt.

— Il y a des endroits qui sont différemment agréables. Je crois que je préfère ceux qui sont gais et ouverts. Je n’aime pas ce qui est sombre.

— Votre demeure d’Offendene l’est beaucoup.

— En effet.

— Vous n’y resterez pas longtemps, j’espère.

— Oh ! je crois que si. Maman tient à être près de sa sœur.

Silence d’un moment.

— Il n’est pas supposable que vous y restiez toujours, en admettant même que madame Davilow veuille continuer d’y demeurer.

— Je ne sais pas. Nous autres femmes, nous ne pouvons pas courir les aventures ; chercher le passage du nord-ouest ou les sources du Nil, ou chasser le tigre dans l’Inde. Il nous faut demeurer où nous avons poussé, ou bien dans le terrain que certains jardiniers ont choisi pour nous transplanter. On nous élève comme des plantes : elles sont souvent ennuyées, et c’est pourquoi il y en a qui sont devenues vénéneuses. Pensez-vous comme moi ?

Gwendolen se sentait nerveuse ; tout en parlant, elle fouettait légèrement avec sa cravache un buisson de rhododendrons qui se trouvait devant elle.

— Je suis d’accord avec vous. Bien des choses sont ennuyeuses. Il fit une courte pause, et reprit : — Mais une femme peut se marier.

— Il en est qui le peuvent.

— Vous le pouvez certainement ; à moins que vous ne soyez obstinément cruelle.

— Je ne suis pas sûre de n’être ni obstinée ni cruelle.

À ces mots, elle se retourna résolument vers Grandcourt, dont elle avait senti que les yeux ne la quittaient pas, et le regarda bien face ; mais il demeura si calme qu’il la glaça.