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Il y eut alors une assez longue pause, après laquelle Grandcourt la regardant, lui dit :

— Je voudrais avoir le droit de toujours prendre soin de vous.

Elle n’osa pas le regarder, car il semblait qu’elle rougissait et qu’ensuite elle pâlissait ; mais elle dit avec douceur :

— Oh ! je ne suis pas sûre de mériter que l’on prenne soin de moi ! Si je voulais courir le risque de me casser la tête, ajouta-t-elle d’un ton insouciant, il faudrait que j’eusse la liberté de le faire.

Après avoir ainsi parlé, elle arrêta brusquement son cheval et se retourna sur sa selle pour voir si la voiture approchait.

« Le diable l’emporte ! » pensa Grandcourt qui arrêta aussi son cheval. Il est vrai qu’il ne formula pas cette réflexion, mais il éprouvait comme de l’irritation de se voir presque mystifié. En tout cas, cette jeune personne ne ferait pas de lui un imbécile. Voulait-elle le voir se jeter à ses pieds et lui déclarer qu’il mourait d’amour pour elle ? Ce n’est pas par cette porte qu’elle arriverait à la position qu’il voulait lui offrir. Attendait-elle qu’il lui écrivît ses propositions ? Autre illusion. Il ne voulait faire sa demande qu’autant qu’il serait sûr de ne pouvoir être repoussé. Quant à ce qu’elle l’acceptât, elle l’avait déjà fait pressentir en recevant ses attentions, et, si elle voulait le refuser, cela tournerait à son désavantage. Était-ce simplement une manœuvre de coquette ?

Cependant, la voiture s’était approchée et le tête-à-tête n’était plus possible avant leur arrivée au château, où se trouvait une société nombreuse. Gwendolen, passant déjà pour avoir été choisie par Grandcourt, était naturellement le centre de toutes les observations ; et, comme le fâcheux Lush n’était pas là, elle fut de la meilleure humeur du monde.