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— Épargnez-vous les semions ; je sais ce que j’ai à faire.

— Quoi donc ?

Lush déposa son cigare et fourra ses mains dans ses poches, comme s’il allait entendre des choses étourdissantes, mais bien décidé à demeurer calme.

— J’épouserai l’autre.

— En êtes-vous donc amoureux ? demanda Lush avec un ricanement.

— Je l’épouserai, vous dis-je.

— Lui en avez-vous déjà fait l’offre ?

— Non.

— Elle a de la volonté, celle-là, et ne demandera pas mieux que de mener grand train. Elle saura faire ce qui lui plaira.

— Elle ne vous aime pas, dit Grandcourt en essayant un sourire.

— C’est parfaitement vrai, repartit Lush en ricanant plus fort ; mais, si vous vous adorez, cela suffit.

Grandcourt ne fit aucune attention à ces paroles : il acheva son café, se leva et alla flâner sur la pelouse, escorté par tous ses chiens. Lush le suivit un moment des yeux, reprit son cigare, le ralluma lentement et fuma en se caressant la barbe. Enfin, il crut avoir trouvé une solution satisfaisante, car il sourit et se dit d’une voix contenue :

— Échec et mat, mon vieux !

Lush ne manquait pas d’adresse ; il connaissait Grandcourt depuis quinze ans et savait pertinemment que certaines mesures étaient inutiles avec lui : souvent même celles qui étaient utiles demeuraient douteuses. Au début de sa carrière, il avait travaillé pour le professorat et s’était préparé à conquérir un grade pour vivre dans un collège ; mais peu flatté d’un tel avenir, il avait accepté d’être le compagnon de voyage d’une marquise, puis du jeune Grandcourt, lequel venait de perdre son père, et qui