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— J’en serais heureuse, dit Gwendolen en consultant son calepin ; mais je suis engagée pour le prochain avec M. Clintock et je m’aperçois que tous les autres sont pris. Je n’en ai aucun dont je puisse disposer.

Elle n’était pas fâchée de punir Grandcourt de son retard, et cependant elle aurait bien désiré danser avec lui.

— Il est malheureux que je sois venu trop tard, répondit-il après une pause d’un instant.

— Je croyais que vous n’aimiez pas la danse, reprit Gwendolen, et qu’il fallait la mettre au nombre des choses qui vous ennuient.

— C’est vrai, mais je n’ai pas encore dansé avec vous ! (Pause.) Vous faites de la danse une chose nouvelle, comme vous l’avez fait du tir à l’arc.

— La nouveauté est-elle toujours agréable ?

— Non, pas toujours.

— Alors je ne sais si je dois être flattée ! Quand une fois vous aurez dansé avec moi, la nouveauté aura disparu.

— Au contraire, il y en aura probablement davantage.

— C’est trop profond ; je ne comprends pas.

— Est-il donc difficile de faire comprendre à miss Harleth combien elle a de puissance, dit Grandcourt en s’adressant à madame Davilow, qui répondit en souriant :

— Je ne crois pas qu’elle passe pour avoir peu d’intelligence.

— Maman, dit Gwendolen d’un ton de supplication comique, il n’est personne d’aussi stupide que moi ; il faut que l’on m’explique tout, quand ce que l’on me dit est aimable.

— Si vous êtes stupide, alors je soutiens que la stupidité est adorable, repartit Grandcourt après sa pause habituelle et avec son flegme désespérant. Il calculait bien la portée de ce qu’il disait.