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trouvât charmant, lui donnait un penchant irrésistible à le supposer ridicule. Ce n’était cependant pas une raison pour éviter sa présence ; et même la prévision d’un ennui passager ne faisait pas naître en elle le désir qu’il voulût bien le lui éviter en ne la recherchant pas.

C’est pourquoi Gwendolen avait prêté une oreille attentive à lord Brackenshaw lorsqu’il s’inquiétait de l’absence de Grandcourt ; et, quand il arriva, personne — pas même madame Arrowpoint ni M. Gascoigne — ne le sut avant elle, bien qu’elle évitât de regarder de son côté. Elle retourna au tir et s’abstint si résolument de jeter les yeux autour d’elle, que, même en supposant qu’il occupât une place en évidence parmi les spectateurs, on aurait pu croire qu’elle n’avait fait aucune attention à lui. Et pourtant la certitude qu’il était là faisait vibrer en elle une corde distincte. Peut-être son tir en fut-il meilleur, car il gagna en précision ; les applaudissements de toute l’assemblée retentirent lorsqu’elle eut logé trois flèches de suite dans le noir, — exploit qui, chez les archers de Brackenshaw, était récompensé par une étoile d’or que l’on portait sur la poitrine. Ce moment ne fut pas seulement heureux pour elle ; il le fut aussi pour sa mère et pour son oncle, qui n’auraient pas même osé espérer qu’elle remportât ce prix. On lui fit place afin qu’elle pût s’avancer et le recevoir des mains de lady Brackenshaw. La grâce de ses mouvements et le rayonnement de son incomparable beauté furent certainement le plus ravissant spectacle de cette superbe journée pleine de lumière et d’ombre. Gwendolen était le point culminant de ce tableau et aucun des assistants ne pouvait la quitter des yeux. Cela lui suffisait : elle s’était dit qu’elle ne regarderait personne particulièrement et ne tournerait les yeux que vers lady Brackenshaw, bien que ses pensées se dirigeassent malgré elle d’un autre côté ; elle était heureuse surtout de ce que Klesmer verrait