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non que le même point se fût souvent présenté, car Gwendolen redoutait le sentiment amer du remords envers sa mère, et la timide conscience de madame Davilow éloignait tout ce qui pouvait avoir l’apparence d’un reproche. Aussi, après cette petite scène, furent-elles d’accord pour exclure M. Grandcourt de leurs entretiens.

Une ou deux fois, lorsque M. Gascoigne y fit allusion, madame Davilow craignit que Gwendolen ne laissât échapper un mot qui pourrait trahir son alarmante finesse de perception ; mais cette crainte ne fut pas justifiée. Gwendolen connaissait la différence des caractères auxquels elle avait affaire, et, par la raison même qu’elle était résolue à échapper au contrôle de son oncle, elle ne voulait pas entrer en conflit avec lui. Leur bonne intelligence s’était considérablement accrue depuis qu’ils tiraient l’arc ensemble. M. Gascoigne, l’un des meilleurs archers du Wessex, était fier de trouver chez sa nièce des dispositions à la même habileté, et Gwendolen tenait d’autant plus à ne pas perdre l’appui de sa paternelle indulgence, que, depuis ce qui s’était passé entre elle et Rex, madame Gascoigne et Anna ne pouvaient cacher le déraisonnable éloignement qu’elles ressentaient pour elle. Dans ses rapports avec Anna, elle lui témoigna une affection mêlée de regrets, mais aucune n’osa prononcer le nom de Rex, et Anna, qui adorait son frère, se trouvait gênée avec la trop aimable cousine qui avait brisé son bonheur.

Cet injuste ressentiment indisposa Gwendolen et la jeta dans la défiance ; son oncle aussi pourrait s’offenser si elle refusait un homme qui l’aimerait et qu’il lui proposerait. Un jour que cette idée la poursuivait, elle dit :

— Maman, je sais maintenant pourquoi les jeunes personnes sont heureuses de se marier : c’est pour n’être plus obligées de plaire à chacun, excepté à elles-mêmes.

Heureusement, M. Middleton était parti sans avoir fait