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Henry ne l’avait pas appris ; du moins si ses amis et connaissances en avaient jasé, il n’était pas d’humeur à répéter leurs commérages. Il trouvait futile et même inconvenant de s’informer du passé d’un jeune homme auquel sa naissance, sa fortune et ses loisirs, rendaient vénielles des habitudes qui, en d’autres circonstances, auraient été inexcusables. Quoi qu’ait pu faire Grandcourt, il ne s’était pas ruiné ; M. Gascoigne n’avait pas appris qu’il fût joueur ; on ne trouvera donc pas singulier qu’il ait pensé qu’au propriétaire foncier, ayant dans les veines une mixture de sang noble, ne devait pas être soumis à une enquête aussi minutieuse qu’un sommelier ou un valet de pied.

Madame Davilow non plus ne pouvait pas être indifférente à un événement qui risquait d’être le gros lot pour Gwendolen. Le nom de M. Grandcourt éveillait dans son esprit l’image d’un beau jeune homme, excellent, accompli, qu’elle serait heureuse de donner pour mari à sa fille. Mais aussitôt cette peinture s’évanouissait pour faire place à la réflexion suivante :

— Plairait-il à Gwendolen ? Car on ne savait ce qui devait satisfaire le goût de cette demoiselle ou provoquer son affection, à moins que ce ne fût absolument exceptionnel.

Dans sa difficulté d’arriver à une combinaison qui assurât le résultat désiré, madame Davilow se disait encore :

— Il ne serait pas essentiel qu’elle l’aimât ; il faudrait seulement qu’elle voulût l’accepter pour mari. Car, malgré le peu de satisfaction qu’elle avait trouvé dans ses deux unions, son désir le plus vif était que sa fille fût mariée.

M. Grandcourt était le dernier auquel madame Davilow aurait fait allusion devant Gwendolen ; car cette allusion seule aurait suffi pour que, d’avance, elle détestât un mari si désirable. Depuis la scène qui avait suivi les adieux du pauvre Rex, elle avait vu qu’il y aurait péril à toucher au mystère des sentiments de sa fille et à décider téméraire-